Entre deux feux

On voit les tubes du chauffage en dessous des lames du plancher. C'est toujours mieux que la moquette verte. Trois fois par jours, je grince des dents en enlevant les echardes qui se plantent sous mes pieds. Je claque des sous chez Habitat, le Ikea du riche-mais-pas-trop. Je conceptualise et je bricole des trucs de maison, en essayant un peu de trouver ma place.

Je passe au labo, mais ma tete est la-bas, du coup je m'en veux d'avoir une vie en dehors du boulot, comme si la vraie vie, c'est en fait de la passer la tete dans ses eprouvettes. Au moment ou je pense ca, je m'en veux encore plus, parcequ'il n'y a pas de carriere a priori possible ici en 9-to-5. Du coup, je me monte un syndrome du deserteur, pire que celui de l'imposteur, ou mon cerveau n'est jamais bien a ce qu'il fait et se debranche des que possible pour penser a des choses plus douces, comme la couleur du tapis du salon.

Je demenage ma GC vendredi, le bébé revient a la fac, et devrait me tenir occupée plus régulierement. Je relis encore le protocol d'extraction en phase solide, sans grande motivation tout de meme. Les imperatifs du labo me passent au dessus de la tete, j'ai juste envie de dormir.

Je suis prise entre deux feux, je ne sais plus ou j'habite. Mon labo, son appart, mon appart. Mes copines la-bas. Mon manque de vie sociale ici. Mon manque d'efficacité et de motivation du moment. Le vide de l'institut. La solution serait le drame actif, l'exageration bete et mechante, les larmes gratuites, les grandes envolées et les petites reflexions mesquines. Lui sauter a la gorge, lui rapeller qui est venu en premier ici, pourquoi je vis entre deux cuisine, a faire mon quotidien avec des bouts de choses et un decors de boites et de cartons. Rendre les clefs, marcher en sens inverse retourner a mon appart pas chauffé, pour chouiner devant ma tele et laisser le silence tomber, pour lui apprendre a vivre et a mieux m'aimer, ce qui aura sans doute l'effet inverse. Jouer a la fille qui ne rapelle pas, pour lui faire prendre conscience de ce qui ne va pas, alors que ca n'aura surement aucun effet, sinon que de renforcer le malaise.

Ou bien juste retourner a l'appart, attendre qu'il revienne, sourire, faire le thé, attendre qu'il s'assoit, m'assoir sur mes principes, ma fierté et mon orgueil, et essayer d'expliquer sans hausser le ton. Manger un peu plus de soupe au cartons et travaux, sans grimacer. Parler un peu du boulot et de comment c'est nul, tout de meme, sans manger mes mots et mes larmes. Arreter de faire mon autiste. Retourner a l'appart le laisser gratter les plinthes en m'occupant a la cuisine, ou bien rester chez moi pour lui laisser de l espace. Arreter de croire que j'ai 15 ans, donc...

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